Jean-Claude Boidin: journée de l'Europe

Publié le par Ny marina tsy maty

Allocution prononcée par M. Jean-Claude Boidin

Ambassadeur, Chef de Délégation de la Commission européenne
en République de Madagascar
à l’occasion de la célébration de la Journée de l’Europe
9 mai 2009

Excellences,
Mesdames et Messieurs,

Je veux d’abord souhaiter la bienvenue à chacun d’entre vous pour cette nouvelle Journée de l’Europe. C’est pour moi une étrange impression que de voir réunis ici de nombreux visages familiers, amis ou partenaires, dans des circonstances si particulières.

Je vous dirai un mot sur l’Europe puis deux mots peut-être sur Madagascar, avant de revenir sur le sens de l’engagement européen à Madagascar.

Le message du 9 mai

Notre rassemblement d’aujourd’hui commémore la déclaration Schuman de 1950, qui marque la fondation d’un rêve d’intégration économique et de paix. L’Europe que voulaient Robert Schuman et ses pairs c’est celle de “l’unité dans la diversité” comme le dit aujourd’hui la devise de l’Union. C’est aussi l’Europe des petits pas, une approche pragmatique et concrète pour un ambitieux projet d’intégration.

C’est l’idée que la construction de relations économiques denses et de la prospérité des gens précède et justifie la construction d’une entité politique. Pour les pères fondateurs de l’Europe, il n’était pas question d’établir une constitution ex nihilo, ni de rédiger de grands traités, mais d’abord d’améliorer la vie des gens. D’ailleurs, à 50 ans passés, l’UE n’a toujours pas de constitution ….

L’Europe dans la crise

Après 30 années de croissance douce et 15 ans d’élargissements successifs, l’Europe traverse aujourd’hui une profonde crise, comme d’ailleurs le monde qui l’entoure. Pour la première fois depuis des années, la production et la richesse disponible décroissent ; le chômage augmente rapidement ; les frustrations sociales s’aiguisent et l’inquiétude se répand ; la notion même de prospérité et de croissance économique est remise en cause avec la montée des défis écologique, climatique, sécuritaire et sanitaire.

Plus riche qu’avant, le citoyen européen est aussi beaucoup plus inquiet pour son avenir et pour celui de ses enfants, et il pourrait être tenté de se replier sur lui-même. C’est un risque pour les mécanismes de solidarité internes à l’UE. C’est aussi un risque pour les engagements externes de l’Europe, en direction du monde en développement.

Aussi vaste et riche soit-elle, l’Europe sait qu’elle est étroitement interdépendante du monde qui l’entoure ; que sa croissance et son dynamisme reposent sur son insertion toujours plus active dans l’économie mondiale. L’Europe n’est pas une île. Elle est un continent. Si elle s’isole, elle s’étiole. C’est en s’ouvrant qu’elle revit.

Madagascar

Il y a trois ans de cela, lors d’une conférence dans l’amphithéâtre de l’Université d’Ankatso, le Commissaire européen Louis Michel traitait de la gouvernance devant un parterre d’étudiants et de personnalités de la société civile, dont beaucoup sont ici aujourd’hui. Dans sa conférence, Louis Michel, qui est un homme politique libéral, exposait avec conviction que pour s’engager sur un chemin de gouvernance et de développement, un pays comme Madagascar avait besoin de plus d’Etat. Dans beaucoup de pays en développement, disait-il, c’est la trop grande faiblesse de l’Etat, son manque de moyens économiques et de capacité juridique qui engendrent la corruption et qui rendent impossible l’exécution des fonctions régaliennes et la conduite d’une stratégie de développement.

Trois ans plus tard, il n’est pas certain que le message de Louis Michel ait été entendu. Avec tristesse, les européens apprennent au contraire que Madagascar est dans tous ses états, et que le pays flotte depuis plusieurs semaines dans un brouillard institutionnel et juridique.

Lorsqu’on émet des mandats sans arrestation, et qu’on procède à des arrestations sans mandat, lorsque les élus cèdent la place à des autorités de circonstance, lorsque les ordonnances remplacent les lois, lorsque les fonctionnaires ne savent plus à quel ministre répondre, et que chaque camp rêve de confisquer les moyens de communication de l’autre, il n’existe plus d’ordre social ni de repère auquel les citoyens puissent se référer ; il n’y a plus d’état de droit, et plus beaucoup d’Etat tout court. Le développement, forcément, se trouve mis entre parenthèses. Les européens qui sont ici, amis et partenaires de Madagascar, comprennent au moins en partie d’où provient la crise, et les désordres qu’elle engendre. Nous connaissons tous les faiblesses des régimes précédents, que l’UE a relevées à maintes reprises au fil des ans. Chacun de nous a ressenti le besoin profond de progrès économique, la soif de justice sociale, d’ouverture démocratique et de gouvernance responsable qui se sont exprimés dans les manifestations populaires et qui ont fait basculer le pouvoir établi.
Mais, même avec les yeux dans le dos (maso-ivoho) que la langue malgache attribue aux diplomates, les observateurs européens que nous sommes ne comprennent pas toujours la direction des choses. Tout comme vous, nous nous inquiétons de voir perdurer et se raidir le conflit, quand il faudrait du dialogue ; de voir les rivalités de personnes prendre le pas sur les débats d’idées, les dénonciations du passé l’emporter sur les propositions d’avenir.

Préoccupant me parait le fait que certains comportements d’aujourd’hui ne soient pas à la hauteur des valeurs qui ont été au cœur des revendications. Chaque atteinte aux libertés, chaque dérapage influence négativement la perception de vos partenaires. Une transition, ce n’est pas seulement un rêve de terre promise de l’autre côté du pont; c’est d’abord la façon dont chacun franchit le pont et se comporte pendant le changement.

“Ataovy toy ny dian-tana : jereo ny aloha, todiho ny aoriana” : Dans sa démarche, le caméléon regarde vers l’avant, mais il surveille en même temps ses arrières ……

Ambatofinandrahana

Si Madagascar vit une période difficile, le pays possède en lui tous les éléments de la solution. J’en veux pour preuve une visite toute récente dans un chef lieu de district de la région d’Amoron’i Mania.

Samedi dernier, donc, je me suis rendu incognito à Ambatofinandrahana. C’était le jour du grand marché. Des centaines de paysannes et de paysans convergeaient vers le chef-lieu et envahissaient la rue principale ; les marchandises abondaient sur les étals en cette période de récoltes.

Alors que je demandai à saluer le maire, on m’informe qu’il prend part à une cérémonie officielle et on m’invite à le rejoindre sur la place du marché. Là, le zébu du sacrifice vient tout juste d’être immolé, et la première pierre du nouveau marché va être scellée avec un mélange de mortier, de sang du sacrifice et de rhum. C’est avec plaisir que je prends part à la cérémonie et aux échanges de discours, d’autant plus que la nouvelle construction est financée par l’UE à travers le programme ACORDS.

Mais ce que je retiendrai surtout, c’est l’atmosphère d’harmonie et d’entente qui existe entre les élus et la population, entre le maire, ses conseillers communaux, l’adjoint au chef de district et les ray-amand-reny du lieu, tous rassemblés pour le lancement du nouveau chantier. Quand Tana se disperse en luttes de pouvoir, les gens d’Ambatofinandrahana creusent le sillon du développement et bâtissent sur le consensus social. Voilà une source d’inspiration pour nous tous.

L’UE solidaire

Parce que le bien-être des européens dépend étroitement de leur insertion dans l’économie mondiale, l’UE a toutes les raisons de se montrer solidaire, même en période de crise.

A la conférence de Doha en décembre, et au G20 de Londres en avril dernier, l’Union a réaffirmé son engagement pour le financement du développement. La tentation protectionniste a été écartée. Le défi écologique est désormais pris au sérieux par tous, comme on le verra à Copenhague.

Il y aura donc demain plus de ressources, et plus d’opportunités, pour les pays en développement, et d’abord pour les plus pauvres d’entre eux, dont Madagascar fait partie.

A Madagascar, les actions de coopération se poursuivent partout où cela est possible, en attendant les décisions que l’UE prendra à l’issue du dialogue politique. Notre engagement auprès des populations dans la lutte contre la pauvreté n’a pas faibli, et les moyens humains et financiers à mobiliser au titre du 10 ème FED restent considérables.

Ce qui a changé, bien sûr, ce sont les conditions politiques et la nature juridique des relations que nous pouvons entretenir avec les pouvoirs publics.

La crise ne remet pas en cause nos engagements, mais elle porte atteinte au partenariat qui est au cœur de la coopération européenne. Dans la résolution qu’il a adoptée cette semaine à Strasbourg, le Parlement européen s’est exprimé très clairement à cet égard.

Le dialogue politique que l’UE ouvrira très prochainement avec les autorités de la transition, les autres forces politiques et la société civile nous permettra de mieux comprendre les Page 4 4 changements en cours, les attentes de chacun et de mesurer le chemin à parcourir pour restaurer le respect des éléments essentiels de Cotonou. Nous le mènerons en étroite liaison avec le Groupe de Contact International récemment établi à Addis Abeba. Je me réjouis d’avance qu’à cette occasion, les Ambassadeurs de plusieurs Etats Membres s’apprêtent à nous rejoindre.

Dans l’Accord de Cotonou qui lie Madagascar et l’UE, le lien n’est pas innocent entre valeurs politiques et coopération économique. Il est délibéré. Pour les ACP, comme pour l’UE, il signifie qu’un développement durable ne s’obtient pas seulement par un taux de croissance. Le développement requiert d’abord le respect de l’Homme dans sa dignité, et une attention constante à la justice et à l’équité sociale. C’est sans doute une des leçons du passé récent. C’est surtout une leçon pour l’avenir.

Conclusion

En cette Journée du 9 mai, je voudrais conclure mon propos sur un message de confiance, et renvoyer vers l’opinion européenne l’image d’Ambatofinandrahana : celle d’un peuple qui vit loin de la capitale et des intrigues politiques, qui a gardé le sens du vivre-ensemble, et qui tourne ses énergies vers demain.

Je vous remercie

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